Préambule

Est survenu un temps où j’ai été submergée par plusieurs questions fondamentales, dont celles reliées au bonheur, à ce qui me rend profondément heureuse. Ma culture, mes valeurs et mon éducation exerceront toujours une grande influence sur moi. Or, je choisis d’avancer sur un chemin aux directions non tracées. Fascinée par la complexité du sens de la vie, j’ai réalisé au gré des expériences que lorsque je pars en expédition sur les routes peu utilisées, que je me perds et prends souvent des risques, mon cœur bat plus fort et un réel sentiment de liberté m’habite. Une liberté me donnant accès à une énergie positive, loin des pressions de la société. Au fil du temps, j’ai appris à voir au-delà de ce qui est perçu par nos yeux. Derrière chaque visage se cache un univers d’histoires, d’expériences et d’émotions. À travers la nature se cache des leçons silencieuses des plus percutantes. Étant photographe, par l’intermédiaire de ma caméra, c’est l’essence de cet univers que je tente de capter. Pour moi, la photographie et le voyage sont ensemble et individuellement un art qui me permet de créer des connexions vraies et sincères. On ne domine ni les humains, ni la nature; on est étroitement unis.

Monts Groulx -2021

Premier voyage

Il y a quelques années, je suis partie près de deux mois à Hawaï pour apprendre l’anglais dans une école, logée chez des locaux, en quête d’immersion. C’était la première fois que je partais seule et que je sortais à ce point de ma fameuse zone de confort. Mon manque d’expérience et de connaissances sur les voyages m’ont menée à être influencée par d’autres touristes qui consommaient au détriment du milieu. Avec du recul, je faisais du tourisme inutile. En fait, je ne savais pas comment m’y prendre pour vivre une expérience authentique, spontanée et bénéfique, alors je faisais comme la masse. Vers la fin de ce voyage, j’ai rencontré Justin, aujourd’hui un grand ami. Cette rencontre a été un élément déclencheur sur ma perception de l’aventure et de la conscience. Ce sont deux concepts qui habitent désormais mon quotidien en me faisant continuellement réfléchir et évoluer.

Justin et moi -2019

Le grand voyage

Quelques années plus tard, après avoir philosophé sur le tourisme, j’ai voulu repartir pour devenir une voyageuse. Je voulais redéfinir la beauté, en trouvant le réel dans un monde plein de faussetés. Je ne voulais plus me faire attraper par la beauté de surface d’un œil de touriste mal renseignée. C’est pourquoi je suis partie avec un sac à dos, peu d’argent et beaucoup de temps. Ma façon de voyager, ce n’est pas pour aller profiter d’un endroit. Je voyage pour que mon regard se teinte de nuances et pour m’enrichir de ce qui peut faire éventuellement ma connaissance de la culture, de la nation, du pays. Ce qui fait la force d’un voyage de longue durée, c’est de ne plus savoir de manière radicale ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, ce que je trouve beau et ce que je trouve dégoûtant... Si je passe deux semaines à un endroit, j’aurai probablement un avis ferme et tranché, mais certainement faussé sur les manières, la culture et les concepts du pays. Si j’y passe trois mois, mon avis avancera progressivement, reculera aussi, se transformera, évoluera, et surtout, se teintera des subtilités de compréhension qui sont indispensables pour mieux comprendre un pays. Quand je voyage, je veux aller le plus près possible de l’authenticité / des sources pour trouver le réel. Et ça, je le trouve quand je vais où les autres ne vont pas, quand j’ose parler, poser des questions aux inconnus, quand j’essaie de manger ce qu’eux mangent et de la manière dont eux le mangent (avec les mains, par exemple), en dormant dans des lieux insolites, etc. Je décris le tout comme si depuis le départ j’avais tout maîtrisé, mais quelques mois m’ont été nécessaires avant de mieux définir cet art du voyage. 


En photographie, j’entretiens une relation d’amour haine envers le portrait de type photographie de rue. De plus en plus, on voit circuler des images dont la composition est très esthétique, mais vide de sens. Une image que je perçois comme volée de l’individu. Souvent, derrière la beauté des images prises du tiers monde se cache beaucoup de misère, et sans communication (qui peut d’ailleurs être faite de multiples façons, même par le ton d’un regard), j’entrevois un manque de respect envers la personne et la culture. Dans plusieurs cas, le geste de photographier crée pour l’autre une situation d’infériorité, où le photographe recherche (peut-être inconsciemment) un succès à travers la misère d’une personne. La photographie m’apprend donc énormément à considérer les gens. C’est MA mission de trouver quelque chose de beau et d’intéressant chez ceux que je rencontre. Ce n'est pas à eux de me le montrer. Cette intention me permet d’avoir un regard différent et une attention particulière dans mes interactions en général.


Lorsque je pars à l’aventure, je sais que les choses qui m’attendent ne seront pas aussi confortables que celles que j’ai laissées derrière et c’est probablement ça le but. Ces conforts de la maison sont rapidement remplacés par les moments simples qui se déroulent devant moi. Lorsqu’on enlève toutes les pelures de notre vie normale et qu’on se met dans une situation inconfortable, on est dans notre forme la plus vraie. Il est facile de nos jours de compliquer les choses, mais parfois, une dose de simplicité est ce dont on a besoin. On comprend ainsi que tout ce qu’on possède est à l’intérieur de nous. Depuis mon retour au Québec, je remarque que cette simplicité est facile à vivre chaque fois que je me retrouve en forêt, ce chez-moi dont je me suis trop longtemps éloigné. Ce voyage a développé en moi une sensibilité à la fragilité de l’environnement aussi bien qu’à la culture. Parfois, il faut être témoin de cruauté pour se sentir concerné et faire preuve d’humanité. Parfois, il faut partir loin pour prendre conscience de ce qui est près de nous, de ce qu’on aime et de ce qu’on veut protéger. 

01 / 06

Ralentir

La présence du yoga est importante dans ma vie puisqu’elle m’amène à ralentir. Cette pratique est ma manière de simplement reconnecter avec mon esprit, mon corps et mon environnement. En fait, le yoga c’est une manière de vivre en intégrant (bon, j’avoue que j’y travaille encore) des principes au quotidien par l’entremise de la pensée, des mots et des actions. J’en fais un lien direct avec un concept qui m’intéresse particulièrement, la décroissance. Malheureusement, en apparence, ce mot peut être associé au début de la fin, notamment avec l’idée qu’avoir plus est relié au bonheur. En contrepartie, la crise environnementale est présente parce qu’on est dans une société qui va vite et qui ne prend pas le temps, ce qui crée des conditions augmentant les besoins, la consommation et le niveau de vie. Quand on apprend à réduire son rythme, ses exigences, son besoin de plus, on comprend que moins équivaut justement à beaucoup plus (d’où l’expression anglophone « less is more »). Au yoga, la notion d’être bon n’existe pas. Il y a juste l’humain, présent dans le moment. À cet égard, je réalise qu’en général, toute notre vie est jugée et se doit d’être performante. En écrivant ces lignes, l’image d’un hamster dans sa roulette me vient en tête… Après quoi est-ce qu’on court tant?

Un peu de déséquilibre dans cet équilibre!

Sous le soleil couchant du Népal

Patience et assiduité

S’émerveiller

En Afrique du Sud, on m’a invité à aller passer une journée dans une école primaire afin de présenter aux élèves mon matériel de photographie/vidéographie. Pour mettre d’abord un contexte, cette école reçoit 400 jeunes qui doivent s’y rendre à pied, parcourant des kilomètres et des kilomètres tous les jours. Les enseignants (4) ne reçoivent pas de salaire, les toilettes sont situées à une centaine de mètres au bas d’une colline, la cour est vide (même un ballon se fait rare) et j’en passe. L’éducation qui est transmise vise à démontrer les possibilités d’un mode de vie autosuffisant (par la pêche, la construction de maisons, etc.), mais aussi à ouvrir les horizons sur ce qui existe dans le monde, comme les arts et la technologie. Bien entendu, il n’y a pas de Wifi, alors ce sont 2 êtres dévoués qui, en plus d’avoir un boulot pour amasser de l’argent, viennent plusieurs jours par semaine présenter des nouveautés qu’ils ont téléchargé sur leur ordinateur. Pour ces jeunes, la nouveauté est aussi incroyable que la simple existence d’un film… Difficile de mettre en mots l’étincelle qu’ils ont eu lorsqu’ils ont réalisé que le drone que je faisais voler au-dessus avait une caméra et qu’on pouvait se voir EN MÊME TEMPS sur mon cellulaire directement dans mes mains! C’était beau, magique et inspirant. Inspirant parce que l’émerveillement, c’est selon moi l’un des plus beaux sentiments que l’on puisse ressentir. Et de voir ces jeunes s’émerveiller sur des petites choses que je considère normales, ça m’a fait reconsidérer tout ce qu’il y a autour de moi. J’ai toujours été confronté à plusieurs paramètres de notre système d’éducation. Force est d’admettre que c’est encore pire depuis mon retour. Par le biais de la suppléance que je fais en classe ou par mon contact auprès des jeunes au sein du pernicieux système, je vois très peu cet émerveillement chez les enfants. On enlève cette pureté qu’ils ont d’innée en instruisant dès un jeune âge les enfants pour qu’ils trouvent leur place dans l’économie du 21e siècle. On les classe dans deux catégories : intelligent et non intelligent. C’est alors que plusieurs d’entre eux sont persuadés de ne pas être bons, car ils sont évalués selon une seule conception. On ne leur apprend pas à remettre en cause des croyances ni à ouvrir leur esprit. Au contraire, on les positionne dans un encadrement où ils n’ont pas de choix. En ne laissant pas de place à l’imprévisible de la vie, en évitant à tout prix de commettre des erreurs, ça crée un faux sentiment de compétence. Selon moi, ça ne crée pas un bagage assez important pour être en mesure d’affronter les épreuves de la réalité, cause d'anxiété. S’en résulte plusieurs phénomènes, dont un très controversé sur la prescription de médicaments, faite avec une telle légèreté, selon la base absurde de la mode médicale. On adapte nos enfants à l’instruction en les anesthésiant, alors qu’on devrait plutôt faire l’inverse. Au lieu d’endormir leurs sens, on devrait les éveiller et révéler ce qu’il y a en eux. L’éducation actuelle répond aux besoins de l’industrie, elle est à son image, soit conforme à la productivité.


Dans un engagement pacifique, je souhaite mettre du mien pour élever les enfants à devenir des hommes, des femmes, une nation qui leur ressemblera, qui ne dominera pas, qui subsistera et qui vivra. Je souhaite amener les gens à se rendre compte de leurs mauvaises habitudes de vie, entre autres par la thérapie par la nature et par les arts, qui développent l’idée de l’expérience où nos sens fonctionnent pleinement, en occupant l’instant présent, quand ce qu’on est en train d’accomplir nous fait vibrer. En d’autres mots, quand on est pleinement éveillé. Je souhaite aussi démontrer que la coopération alimente le développement et qu’il ne s’agit pas de tricher lorsqu’on se fait aider. 

Épilogue

En somme, c’est en quête d’approfondissement à toutes ces réflexions que j’ai décidé de m’engager au sein du baccalauréat en intervention plein air. Savoir vivre en forêt correspond pour moi à la vie meilleure. C’est une mission continue que d’agir en harmonie avec l’écosystème et c’est de vivre dans le déni que de nier les problèmes de la Terre pour des revenus. Le bonheur ne se retrouve pas en vente fabriqué et cette surexploitation de la nature pour notre consommation mène droit au déclin de l’humanité. Mais j’ai espoir en l’humanité.