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Kuei-Kwe,
Il y a un mois, alors que l'automne se dévoilait, je revenais de vivre une expérience des plus touchantes et enrichissantes en Abitibi. J’ai eu l’immense privilège de documenter avec ma caméra une marche de 175 km organisée par Puamun Meshkenu (Chemin des mille rêves), intitulée Mamu Nikantetau, qui signifie en innu : Avançons ensemble. Cette immersion auprès de ceux que Richard Desjardins appelle le « peuple invisible », en territoire Anishinaabe, m’a ouvert les yeux et jamais je ne me suis sentie aussi dépaysée dans mon propre pays.
La marche, en réalité, servait de prétexte pour engager un dialogue sur le passé, le présent et l’avenir des peuples autochtones, en écoutant des récits profondément marquants sur la chasse respectueuse, les traditions, la culture, le territoire, les traumatismes intergénérationnels, la guérison et l'espoir. Plus j’écoutais, plus je comprenais la richesse de ces histoires et la force de ceux qui les portent… une réalité encore trop méconnue.
J’ai partagé des rires sincères avec des personnes ayant traversé des épreuves dévastatrices, témoignant de leur courage et de leur résilience. Ces instants m'ont appris que le véritable avancement se fait ensemble, en s’alliant. Avancer et vivre ensemble, c'est le message que je chéris désormais. C'est de revenir à l'essentiel, à la terre et à notre humanité partagée.
En dépit de l'intensité de ces journées où je ne dormais qu'environ cinq heures par nuit, jonglant entre le travail et cette expérience incroyable, je n’aurais échangé cela pour rien au monde. C’est exactement pour ce genre d’expérience que je vis et que je suis photographe.
Migwetc
(1200 photos plus tard, difficile d’en choisir que quelques-unes pour imager ce séjour!)
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Edouard, un aîné de 75 ans qui a marché la longue route de Mamu Nikantetau, incarne la mémoire et la résilience d’une génération marquée par les tourments. Lorsqu’il a été envoyé au pensionnat, il a perdu plus que son nom ; il a été privé de son identité, remplacée par un nom imposé et des leçons de méfiance et de peur. Quand il est arrivé à l’école, on lui a appris à mentir, à haïr et à être méchant, alors qu’il nomme que chez lui, on lui apprenait à aimer. Ce qui l’a tenu debout, c’est l’héritage de son père, un homme qui n’a jamais mis les pieds à l’école, mais qui connaissait l’essentiel : le respect. Edouard se souvient avec émotion qu’il lui a été transmis qu’on ne peut pas posséder une terre, mais qu’on en fait partie. Une perspective de vie complètement différente. Il marche maintenant en hommage aux siens pour affirmer la force de leurs valeurs.
Edouard ne laissait passer ni un matin ni un soir sans offrir un sourire ou un câlin aux autres marcheurs... et j’ai eu le privilège de recevoir ces gestes réconfortants, comme ceux d’un grand-papa, empreints de bienveillance et de sagesse. “C’est vrai qu’on vit ensemble, mais on ne se comprend pas.”, a-t-il dit. Un constat amer et un rappel que le chemin de la réconciliation est encore long. Les démarches complexes du gouvernement pour permettre aux anciens pensionnaires de retrouver leurs noms illustrent bien l’une de ces innombrables incompréhensions qui persistent.
Pour Edouard (Edgah de son ancien nom), marcher, c’est reprendre son histoire, même si elle a été fragmentée. Il porte en lui un message simple mais puissant : l’amour et le respect, même après tout ce qu’il a traversé. Le rencontrer m’a véritablement marqué, me rappelant la force d’avancer malgré les blessures, et l’importance de toujours choisir l’amour et la dignité dans chaque geste, chaque pas.
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Dr Stanley Vollant, fondateur de Puamun Meshkenu, porte un message puissant : «À cœur vaillant, rien d’impossible». À travers ses marches et ses conférences, il inspire les communautés à croire en leurs rêves, collectant dans son bâton les espoirs de ceux qu’il rencontre. Peu importe l'âge ou le parcours de chacun, il trouve les mots justes pour faire résonner cet appel à la persévérance. Bien au-delà des mots, il rappelle que pour nourrir notre bien-être, il faut cesser de compenser nos manques par des échappatoires et oser suivre le chemin de nos rêves.
À chaque rencontre, il dépose dans son bâton un fragment des rêves de chacun, des espoirs enracinés dans leur histoire et leur territoire comme autant de promesses pour l’avenir. Pour les peuples autochtones, chaque rivière et chaque forêt est porteuse d’histoires vivantes, de récits de survie et de souvenirs profondément ancrés dans le territoire. Les chemins anciens suivaient les rivières et les sentiers de portage, tracés non pas pour relever un défi sportif, mais pour survivre et rester connectés à cette terre.
Ce rêve, le mien, de photographier des histoires qui touchent, s’enracine dans le même besoin de donner sens, de faire écho aux récits de vie qui nous inspirent. Il y a dix ans, je n’aurais jamais pensé que la photographie deviendrait mon véritable métier – un moyen de nourrir mon propre cheminement et de raconter des histoires prenantes. Même si cela demande des nuits de sommeil réduites et d’innombrables cafés pour tenir le rythme, épuisée ou non, je sais que je suis exactement là où je dois être.